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Ciencia ficción, Comedia, D’A, Drama, Parodia

L’EMPIRE

Film de Bruno DUMONT, France, 2024

Critique de Véronique GILLE

Durée: 110 min.

Année: 2024
Pays: France
Réalisation: Bruno Dumont
Scénario: Bruno Dumont
Photographie:David Chambille

Interprétation: Lyna Khoudri, Anamaria Vartolomei, Camille Cottin, Fabrice Luchini, Brandon Vlieghe, Julien Manier, Bernard Provost, Philippe Jore, Bilal Gharbi,
Genre  Science-fiction. Comédie. Drame. Parodie. Extraterrestres

      Le film suit la lutte de deux bandes extraterrestres, les Is et les Os, descendus sur terre pour découvrir qui et comment sont les humains. Une découverte édifiante… et hilarante. Ponctué de gags absurdes et de parodies cinématographiques nombreuses, le nouveau film de Bruno Dumont est une vraie comédie et s’éloigne encore plus de son cinéma austère des débuts. Décalé et osé, le film l’est. La mise en scène jongle avec des séquences de comédie visuelle et auditive (des vaisseaux-cathédrales atterrissent dans des champs avec à leur bord des extraterrestres dont la  ressemblance avec les humains n’est évidemment pas fortuite). Faut-il y voir une représentation de la folie humaine dans son désir de conquête jamais assouvi ? Peut-être, mais aucune scène n’échappe à la comédie, car le cinéaste préfère sûrement ne pas jouer sur l’émotion réelle des spectateurs, les détournant ainsi de la réalité par la tonalité burlesque et les digressions comiques. 

      Visuellement, le film embellit le village de la Côte d’Opale où est né un bébé spécial (et dont Bruno Dumont est lui-même originaire) qui déclenche une guerre entre des forces extraterrestres, ses dunes et ses plages, sa campagne, son ciel et auditivement, l’accent appuyé des gens du Nord si caractéristique renforce l’humour décalé du film sans que cela soit moqueur. Le traitement des gags révèle l’influence manifeste des films de science-fiction des années soixante-dix avec force effets spéciaux souvent grotesques aujourd’hui tout comme le sont aussi certains personnages, Belzébuth ou la Reine des Os. Les seconds rôles sont souvent pittoresques – Rudy, Line, la mère de Jony… – et ces extraterrestres mêlent mégalomanie, esprit de conquête, paranoïa sans dangerosité.

       Le film pourrait être angoissant, mais pas tant, car il plonge les spectateurs dans des situations sur lesquelles il faut se laisser aller divaguer sans s’appesantir sur le sens profond qu’a voulu donner Bruno Dumont à son film… il n’y en a peut-être aucun ! Ce qui est sûr, c’est que le réalisateur aligne des plans originaux souvent silencieux (jeux de plongées et contre plongées qui ne nécessitent pas de dialogues suivis), seul le jeu de Fabrice Luchini en Belzébuth exige un discours à la fois mégalomane, grandiloquent, puéril et cela mérite le détour. Parfois même, le cinéaste puise des plans de dessin animé pour filmer les moments les plus loufoques.

      Les acteurs et le réalisateur négocient avec habileté le passage du film du registre de la vie quotidienne d’un village du Nord à celui de la science-fiction – navettes d’un autre temps, Camille Cottin, en reine extraterrestre, s’exprime en un charabia aussi absurde que troublant -. Le réalisateur mêle ici humour, poésie et pataphysique. Le rire est au service de l’humanisme, car le ridicule avec lequel les extraterrestres sont dépeints les apparente aux humains comme une évidence. Le long-métrage s’appuie sur le langage de l’image à travers les gags visuels et le comique des situations. Comme déjà spécifié, il n’y a peut-être rien à comprendre. Rien qu’à se laisser bercer, du générique à la dernière scène, par cette loufoquerie qui remplace parfois la logique. Les gags sont drôles, les anachronismes bienvenus – les chevaliers sont des pêcheurs âgés, les destriers sont des chevaux boulonnais -.

        Le film est une représentation absurde et irrationnelle des choses par rapport à une norme. Qu’adviendrait-il  si le grotesque outrancier et absurde devenait cette norme ? Un monde où la raison déraille complètement, où le raisonnable et le rationnel ne peuvent s’incarner que comme des synonymes d’ordre et d’aliénation tant suggérés par le titre ‘l’empire’ qui serait la fin d’un rêve, de l’imaginaire, la vie que le totalitarisme tente de réduire à néant. Ce monde parallèle décrit dans le film ne ressemble que trop au nôtre. Un rétro-futurisme, image d’une humanité qui va droit dans le mur ? Beaucoup de travellings insensés, mouvements vers l’avant, semblent le démontrer. Les spectateurs sont ballottés, entraînés dans la bataille finale, tournoyant sur eux-mêmes… pour finalement buter contre ce mur ? 

         Tout est amusant : des navettes à n’en plus finir qui défilent dans le ciel, l’apparition du commandant de gendarmerie Van der Weyden et de son lieutenant Carpentier, complètement inutiles dans le film, la voix de Jony qui prononce quelques mots avec celle de Darth Vader, les réprimandes des mères qui n’y comprennent rien, la conversation sans queue ni tête de la Reine-mairesse avec une de ses concitoyennes, tout est un jeu d’enfants. C’est un film de science-fiction imaginé ludiquement et de plus joué par les locaux, ce qui renforce l’impression de vieux drame cosmique sur des fantaisies galactiques où Star-Wars est réduit à des sabres tungstènes et des voix d’un autre monde. Tous les effets sur les clichés du genre sont ici dégonflés et traités sur un mode grotesque. Il y a un choc entre le monde villageois  dans un lieu du fin fond du Nord de la France où les habitants sont avares de paroles et la trame digne d’une saga à la Star Wars… en plus simple, bien plus simple.

        Tout est amusant, donc, en n’oubliant pas un léger intérêt romantique et sensuel quand Jony et Jane découvrent le plaisir et les émotions que procure un corps humain, au moyen du sexe. Quelques paroles de tendresse parsemées ici et là, quoique la femme reste aussi un objet sexuel destiné à être séduite et abusée chez les extraterrestres. Mais les deux se demandent après ce moment de plaisir s’il est vraiment nécessaire de tout anéantir sur la planète et sèment ainsi une petite touche de romantisme insoupçonné. Transgressif, drôle, bien filmé, bien joué, le film est à voir, ne serait-ce que pour sa facette divertissante si l’on est prêt à accepter le deuxième degré et pourquoi pas, le troisième !

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L’empire – Critique – Version espagnole

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