Film de Bogdan MARESANU, Roumanie, 2024
Critique de Véronique GILLE
Durée: 138 min.
Année: 2024
Pays: Roumanie
Réalisation: Bogdan Muresanu
Scénario: Bogdan Muresanu
Photographie:Boroka Biro, Tudor Platon
Interprétation: Adrian Vancica, Nicoleta Hâncu, Emilia Dobrin, Marian Adochitei, Virgil Aioanei, Afrodita Andone, Mircea Andreescu, Iulian Burciu, Florin Calbajo,
Genre: Drame. Drame social.
Scènes étouffantes, oppressantes d’absurdité bâtissent le film du cinéaste roumain, Bogdan Maresanu. Ce nouvel an qui jamais arrivé est construit comme un thriller sur le fil de l’angoisse indissociable du régime dictatorial de Ceausescu. Mais le cinéaste évoque ce régime dans les râles de l’agonie. C’est donc un film de volée politique et humaine. Parfois bouleversant, souvent intéressant grâce aux interprètes qui paraissent ne pas jouer, au rythme créé par le réalisateur qui parvient à le maintenir en jonglant avec les durées tout en ne provoquant pas l’ennui tant les tranches de vie s’imbriquent bien entre elles et donnent une belle cohérence au film.


Sur fond de contexte historico-politique, Bogdan Maresanu raconte simplement la vie des autres où la tension va crescendo. Son film dure deux heures dix-huit minutes et jamais il ne lasse tant son temps réel n’a rien à voir avec sa durée romanesque. Le réalisateur élabore un suspense sans avoir recours aux artifices du cinéma de genre. Beaucoup de détails prenants nourrissent le film, car le drame vécu par les personnages semble banal, mais eu égard au contexte, son ampleur va grandissant et la neutralité qui pourrait donner parfois une sensation documentaire n’est qu’apparente, En fait, le scénario est écrit avec précision et profondeur.


Les séquences sont fluides, sans apprêt ni fioritures. La mise en scène pose de bout en bout un climat d’angoisse, mais le propos est illuminé par l’attrait de certains personnages et l’humour parsemé dans quelques séquences qui maintes fois renforce l’absurdité du régime de Ceausescu. C’est pourquoi rien ne torpille l’attention. Ce long métrage est pourvu d’une maîtrise visuelle qui évite l’écueil du téléfilm et s’exprime, par exemple, dans un plan-séquence où l’une des protagonistes assiste, blafarde, à son déménagement forcé et se laisse inonder par les paroles voulues rassurantes de son fils soumis au régime. Une présence grave parmi des déménageurs et un fils qui rivalisent de banalités.
En scrutant son visage et les gestes de ses mains, Bogdan Maresanu instille un malaise qui contamine peu à peu. Le résultat est rempli de symbologie dans la composition des cadres (avant tout dans les scènes d’intérieur) et des plans-séquences qui apportent l’impression de cloisonnement dès les premières images et le film, empli de lignes verticales tels des barreaux, s’apparente vite à une prison sans issue. Le constat dans la Roumanie de Ceausescu est inflexible : dans la barbarie morale ambiante, peu sont ceux – ici, une femme mûre, une jeune actrice, frêle et déterminée, deux jeunes étudiants opposants… – qui viendront secouer les hypocrisies et les lâchetés et s’affranchir de la dictature afin de mener jusqu’au bout leur dessein secret.



À l’aune de son titre, ce nouvel an qui n’arrivera jamais pour le dictateur mort avant son avènement et qui n’arrivera plus jamais semblable aux précédents pour les Roumains, le film reflète le bouillonnement intérieur des personnages tenaillés par la peur et le désir de révolte, mais parfois en total dénuement moral. À travers des histoires minimalistes qui s’érigent comme des montagnes d’anxiété (une phrase écrite dans une lettre au Père Noël, une phrase à prononcer lors des festivités de Noël, par exemple) qui ne prêtent pas à la gaudriole, mais ne sont pas dépourvues d’humour se dessine une parabole sur la décomposition d’un pays suranné, dépassé et borné. Le cinéaste n’hésite pas à plonger sa caméra dans les viscères d’un régime mortifère pour mieux en écorner l’image bien que cela puisse paraître à priori peu cinématographique.



Les dernières images disent que le temps du crépuscule n’est plus de mise. Un bruit de pétard et la fête peut commencer. Le récit ne bascule plus alors dans la tragédie pure et viscérale de la dictature, mais propose des images qui rassurent notre esprit à nouveau tranquille. Un discours tronqué, des banderoles folles, une cacophonie visuelle, des gens partout bravant les interdits et heureux. Enfin. À travers cet itinéraire, le réalisateur laisse le temps aux plans de vivre, libres, de plonger dans un capharnaüm grouillant de liberté sous les notes intenses du Boléro de Ravel. Il mêle texte, image et musique, le sens et la sensation, l’abstraction et l’émotion. Histoire que la réalité frappe de plein fouet. Pour leur plus grand bien, les Roumains ne sont pas restés chez eux, silencieux, en ce mois de décembre 1989 et se sont levés.
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