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Comedia, Familia, Homosexualidad, Maternidad

HOUSEKEEPING FOR BEGINNERS

Film de Goran STOLEVSKI, Australie, Croatie, Kosovo, Macédoine du Nord, Pologne, Serbie, États-Unis, 2023 

Critique de Véronique GILLE

Réalisation: Goran Stolevski
Scénario: Goran Stolevski
Photographie: Naum Doksevski
Musique: Alen Sinkauz, Nenad Sinkauz
Interprétation: Anamaria Marinca, Alina Serban, Samson Selim, Vladimir Tintor, Mia Mustafi, Sara Klimoska, Dzada Selim, Filip Trajkovic, Mamura Mustafa, Ajse Useini, Rozafa Celaj, Aleksandra Pesevska, Fisnik Zeqiri, Ziba Radoncic, Irena Ristic, Ilire Vinca, Serbija Shabanova, Bislim Muçaj

Pays: Macedonia
Durée: 107 minutes

Genre: Comedie. Homosexualité. Famille. Maternité

Bienvenue dans la tribu grouillante et chantante de Dita et Suada, la blonde sage et la brune explosive. L’une acceptée et l’autre rejetée par la société de la Macédoine du Nord. L’une est blanche et l’autre a le teint cuivré desgitans. Ensemble, elles vivent une histoire d’amour jusqu’à l’annonce fatidique d’un cancer terminal qui mettra fin à la vie de Suada. Cette mort annoncée génère une situation inattendue pour Dita qui voit son destin bouleversé par une promesse tenue à son amour perdu. Le film de Goran Stolevski est un constat social et humain  en forme de comédie, mais aussi de drame où l’on sourit et l’on pleure. Ce long-métrage indispensable ricane sur la discrimination, le racisme, le sectarisme. En effet, cette famille aux marges de la société bien pensante composée de membres LGTBI a des enfants qu’il faut aimer et intégrer. Ces enfants y ont droit.

       Le film se fait l’écho  des désillusions politiques et autres fissures humaines souvent dues aux murailles idéologiques. On entre donc avec curiosité dans l’appartement où vivent d’autres colocataires rejetés ou déclassés que Dita a connus au travers de son travail d’assistante sociale. Le personnage de Suada, rapidement disparu de la trame, fait du film un petit exercice de pure rage. Ce qui pourrait être une légère version de l’enfer, bourbeuse, où tout le monde s’entasse, triche, se vend, où aucun personnage ne suscite la compassion est en réalité un film plein de tendresse, d’amour, de solidarité, d’écoute. On y chante, on y danse, on y rit, on y crie, on y vit. Certes, quelques coups de bons sentiments viennent endormir le spectateur, mais les personnages – le jeu des acteurs est simple, naturel et tout à fait crédible – sont attachants parce qu’ils ont des rêves, très souvent distillés par la société, qui les portent.

     Goran Stolevski ne demande pas la charité, au contraire. Il force notre regard à se poser dans l’angle mort de la société. Il n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur certains de ses personnages bien qu’en vérité il vise les spectateurs : haro sur les fausses valeurs morales, les grandes idées nébuleuses, la religion et la famille. C’est un portrait de groupe, beau comme une famille unie qui parfois se désunit et vit des situations tragi-comiques, mais tous ces membres restent là, bien présents et les coudes serrés. Le réalisateur altère le genre du mélodrame classique et classieux en usant d’une écriture dynamique. Sa mise en scène, pourvue d’un découpage laissant transparaître par le placement des comédiens les tourments qui les enferment, demeure sobre. De plus, Goran Stolevski met l’accent sur les gros plans des visages, avant tout celui de Dita (excellente Ana Maria Marinca), qui sans le vouloir est devenue une mère de tous les instants, même quand ses belles-filles sont absentes du cadre.

      Au travers d’une galerie de personnages disposés ici et là – Ali, le nouveau compagnon de Toni, Elena, Flora, Mia et Vanessa, les deux filles de SuadaDita construit cette nouvelle famille, vaille que vaille. Bien que confrontée à son non désir de maternité, matin, midi et soir, sans interruption, elle tente de réorienter sur le droit chemin Vanesa, telle une mère avec son enfant dans une société bercée par la question de la parentalité et des origines. Passé l’intimité que Dita développe au fur et à mesure avec sa belle-fille adolescente et accompagnée d’Ali, le lucide généreux, incarné par un lumineux Samson Selim, c’est avec son monde que Dita pourra entrevoir une forme de maternité qui lui appartiendra. En soit Housekeeping for beginners est davantage le récit de l’élévation d’une femme qu’un mélodrame qui aurait pu être sirupeux, voire didactique rend attachante.

        Comme déjà évoqué, quelques passages sentimentalistes parsèment le scénario, mais sans compassion chrétienne non plus. Le cinéaste n’est pas dupe du déterminisme social auquel ses personnages ne peuvent échapper. Bien que le scénario soit un peu fragile, la mise en scène enserre les héros dans les griffes d’un déterminisme qui les piège. Mais ici, c’est le thème de la famille nouvelle qui prévaut sur celui de la critique sociale engagée. C’est pourquoi émanent des images une certaine tendresse envers les personnages et une délicatesse de touche. Goran Stolevski donne à voir ces discriminés, ces déracinés qui ne sont ni beaux, ni toujours bons, ni vertueux et n’envisage pas son cinéma comme un cinéma politique qui projette une idéalisation des laissés-pour-compte en faisant émerger l’idée d’une rébellion. Ce sont des déclassés, mais ils ne sont pas préservés des tares de la société moderne. Il faut dissiper le malentendu possible.

        Le cinéaste a choisi de décrire la réalité d’une famille, microcosme social, à la fois victime et dépendante du système. Son film est réaliste, mais ni misérabiliste, ni militant et sans slogans paternalistes. Il propose une pensée intermédiaire entre la pensée charitable – “Il faut avoir pitié et donner aux pauvres” – et l’autre gauchisante – “Il faut éveiller et pousser à la révolte la conscience des victimes” – : cette pensée intermédiaire serait “aussi discriminatoire que soit leur situation, aussi douloureuse que soit leur angoisse, les déclassés n’ont aucune raison de ne pas être roublards et égoïstes exactement comme le sont ceux qui les discriminent”. Montrer les choses telles qu’elles sont, sans loupe grossissante ni miroir déformant. Dita est entourée de figures pittoresques, mais jamais caricaturales. Ainsi l’obsession de Suada pour un nom de famille qui ne déclasse pas irrigue le film entier et renvoie à cette idée de réalité.

         Tandis que les autorités semblent ignorer consciencieusement ce monde marginal, le réalisateur semble prophétiser l’amour, la tolérance, la solidarité chantante et dansante de deux mondes symbolisés par la jonction de l’opéra et du rap de la bande-son. Toutefois, il est vrai qu’entre les passages musicaux parfois envahissants, le film est bavard et peut créer une sensation d’étouffement, de plus rehaussée par les nombreux gros plans des personnages. Mais ceux-ci sont là aussi pour exprimer ou dénoncer les contradictions que ces personnages vivent, êtres frustrés prêts à tout pour satisfaire les besoins qu’on leur crée. Il y a aussi de brefs moments de pause poétique et mélancolique. C’est une belle histoire simple servie par une grande présence corporelle des acteurs masculins dont la virilité est attendrissante car ils participent pleinement à cette parentalité par extension.

       Les questions complexes auxquelles est soumise Dita dessinent au fur et à mesure un destin, figure d’une belle-mère en proie à ses contradictions et qui est tirée brutalement vers le réel alors que la maternité n’est pas une injonction ni un destin obligé. Certaines des réflexions touchent, mais il aurait fallu -peut-être- un scénario moins bavard, plus incisif. Assez souvent, Goran Stolevski tue dans l’œuf le potentiel de son histoire en laissant le récit orphelin d’un véritable enjeu lorsqu’il choisit de ne pas puiser dans la manne dramatique que constitue, par exemple, la relation de Dita avec Suada, puis avec Vanesa. Quelques personnages sont de simples silhouettes. Donc, on reste sur sa faim. Toutefois, le cinéaste suit ses héros sur le chemin escarpé de la vie sans les juger, ni les regarder de haut. Toujours à la bonne hauteur de ces destins malmenés. Parfois trop tôt.

Vu au 29º Edition du festival FIRE!! 2024

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