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Abusos sexuales, Adolescencia, Drama

PAS DE VAGUES

Film de Teddy LUSSI-MODESTE, France, 2024

Critique de Véronique GILLE

Durée: 92 min.

Année: 2024
Pays:  France
Réalisation:  Teddy Lussi-Modeste
Scénario:
Audrey Diwan, Teddy Lussi-Modeste
Photographie:
Hichame Alaouié Musique: Jean-Benoît Dunckel

Interprétation: François Civil, Shaïn Boumedine, Toscane Duquense, Mallory Wanecques, Bakary Kebe, Emma Boumali, Marianne Ehouman, Luna Ho Pourney, Agnès Hurstel, Myriam Djeljeli, Emilie Incerti-Formentini, Mustapha Abourachid, Francis Leplay,
Genre:  Drame. Adolescence. Abus sexuels. Éducation.

      Dans un collège français d’aujourd’hui, un jeune enseignant, Julien, dans le cadre de son cours de littérature, analyse “Mignonne, allons voir si la rose…” de Ronsard en s’appuyant sur des exemples concrets pour amener ses élèves à comprendre une poésie hermétique dans sa forme pour eux. Mais les élèves peinent à se prendre au jeu des images et des métaphores si bien que les conséquences de cette pédagogie interactive vont dépasser les objectifs de cet enseignant qui veut bien faire. Décontextualisé et vite transformé par les élèves, les mots deviennent des armes  qui assassinent la littérature. Et en quelque sorte, on assiste aussi à l’assassinat social d’une personne dont le métier est aujourd’hui une vocation facilement démontable. Se surprendrait-on à penser que le héros du film devrait obtenir en quelques minutes le silence, l’attente et le respect de ses élèves et parvenir ainsi à de meilleurs résultats pédagogiques ? Non, car ce serait peut-être une mauvaise pensée.

      Le film est une démonstration implacable et inquiétante sur les mécanismes du harcèlement  dans le milieu scolaire à l’ère des réseaux sociaux et de l’omerta administrative, une sorte de mise en garde. Son originalité repose sur le renversement de la situation entre victimes et bourreaux habituellement représentés cinématographiquement. Ici, la victime est l’adulte enseignant et les bourreaux, ses élèves. Reconnaissons tout de suite que la gravité des faits alourdit par instants le film plutôt vif. Mais une fois débarrassé de certaines  lourdeurs pédagogiques, le film – inspiré de la réalité – reste une fiction pure et tragique. Et donne froid dans le dos… Il pose aussi un problème dérangeant dans le monde de l’enseignement : le danger du mensonge qui est porté, voire fomenté par la société elle-même. Ce long-métrage ne répond pas au problème, mais tout est possible et l’on peut sortir secoué du film en se demandant si le monde virtuel – le laboratoire visionnaire des songes de Goya – ne crée pas des monstres.

       La prestation de François Civil dans le rôle du professeur harcelé est pour beaucoup dans l’efficacité du film. Après une mise en place plutôt réussie (comment le plus beau poème de Ronsard et son explication peuvent-ils déclencher une interprétation aussi perverse de trois adolescentes ?), le film se poursuit sans surprise avec certains personnages assez caricaturaux (le frère de Leslie, le directeur du collège, Océane l’instigatrice, Claire la redresseuse de torts). Donc, l’idée de départ est bonne, cependant le film s’égare progressivement dans la démonstration, certes peut-être utile pour ceux qui méconnaissent le monde de l’enseignement, mais sacrifiant la subtilité au profit d’une dramatisation par instants abusive. Quoi qu’il en soit, l’intention est louable et les adolescents, têtes à claques qui pensaient être subversifs en portant un tee-shirt du Che dans les années 90 ou 2000, sont aujourd’hui bien plus dangereux, armés des réseaux sociaux. 

       Le film est-il vraiment efficace ? Oui, même si son efficacité esthétique amenuise son efficacité morale. Mouvements rapides de la caméra pour passer d’un élève à l’autre, d’un professeur à l’autre. Plans courts, puis longs. Le réalisateur ne veut pas ennuyer. En revanche, le message précis apparaît peu dans l’œuvre. Les personnages sont les premiers touchés dans ce réservoir qu’est une salle de classe. Océane la rebelle semble s’opposer à tout, mais on ne sait pas pourquoi, suivie de la ribambelle de caractères mous qui forment le troupeau et l’inévitable élève faible à l’histoire familiale compliquée, mais qui, en dénonçant son professeur, trouve un sens à sa vie cabossée d’ado. On objectera qu’on retrouve ces types dans toutes les écoles, mais on répondra que la fiction ne peut copier tout à fait le réel. Plans au couteau, zooms de rigueur, dialogues qui fusent entre professeurs, phrases clés sur quelques actions chocs… La respiration des spectateurs est calée sur celle de Julien, tout le film est vu par son prisme. Plus la situation dérape, plus le doute éclot que le bien fondé de son choix pédagogique  repose sur le souhait d’une empathie peut-être impensable aujourd’hui entre professeur et élève.

     Après quelques retournements de situation, le film retombe sur ses pattes dans une fin dramatique sans laisser d’ambiguïté. Sur le plan formel, le film est extrêmement accessible. Ancrer son univers dans la culture collégienne pour développer un thème concernant la jeunesse, particulièrement vulnérable à l’uniformisation des comportements et au développement d’une mentalité sans véritables valeurs,  avec rivalités exacerbées. La notion de discipline à l’école est maintenant assortie d’un culte de la personnalité de plus en plus marqué, grignotant de jour en jour et sans en avoir l’air les libertés individuelles. Le film, qui n’aurait pu n’être qu’une chronique, acquiert alors une épaisseur documentaire, voire une dimension tragique. Le directeur de l’établissement en est un reflet : il passe son chemin bien qu’il soupçonne d’être confronté à du harcèlement, renâclant à reconnaître la vérité tout comme l’Éducation Nationale met sous le tapis le sujet – tabou – des élèves toxiques. Surtout, pas de vagues !

     Ici, l’école peut être une parabole de la société paralysée par la rumeur, gangrenée par un mélange de cynisme politique, administratif, corporatiste défaillant et de wokisme mal digéré. Julien, à qui l’on ne cesse de demander des justifications sur sa vie personnelle et professionnelle, n’est qu’un pion dont on cherche à se débarrasser dès lors qu’il menace le ronron du système. La mise en scène sèche, directe, ne quitte presque pas l’enceinte de l’établissement dont la froideur donne le ton du film parce qu’il devient la prison de tous (une séquence montre les élèves groupés aux fenêtres, scandant des invectives tels des prisonniers revendicatifs). C’est un huis-clos étouffant sur un enseignant mu par une belle idée de son métier qui expérimente, chute, tente de se rattraper et s’enlise. Seul malgré les autres, abîmé. Peut-être faudrait-il en finir avec les vœux pieux et se recentrer sur ce qui fait la qualité de l’enseignement : l’humain… Glaçant. 

PAS DE VAGUES – Critique_Version espagnole

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